Une belle recension de l’Age d’Argent parue à la revue “Défense”
Dans le sillage du numéro 188 de « Défense » sur le centenaire de la Révolution russe, dans lequel Christine de Langle, Philippe Wodka-Galien et Nathalie de Kaniv ont chacun illustré des aspects culturels et artistiques qui caractérisent le monde russe,  L’Âge d’Argent s’interroge notamment sur la relation entre Révolution et avant-garde. Comment le bouillonnement artistique russe du tout début du XXe siècle a-t-il affronté la méfiance instinctive des totalitarismes par rapport aux frappantes remises en question auxquelles conduisent ces chercheurs que sont les artistes ?
Après l’Âge d’Or de la littérature russe (Pouchkine, Dostoïevski, Gogol…), une véritable révolution artistique s’est fait jour et marque encore notre temps. Nathalie de Kaniv retrace brillamment l’épopée des Ballets russes, avec notamment le « magicien » Serge Diaghilev, qui ont changé le style de la danse classique européenne. Les novations bouleversantes du Sacre du printemps de Stravinski ont initialement créé le scandale mais ont ouvert à long terme des voies nouvelles à la musique. La richesse du travail de Casimir Malevitch n’a pas d’équivalent dans l’histoire de la peinture russe. La découverte à la fois fulgurante et controversée du Carré noir découple la vision
artistique du geste lui-même, clôt une phase classique de l’art et ouvre des perspectives tota- lement novatrices pour ses successeurs. Au fond, toute l’atmosphère de l’Âge d’Argent se retrouve dans le roman Docteur Zhivago de Boris Pasternak : « ici, la poésie symboliste est repensée et Pasternak inscrit des réflexions philosophiques et religieuses sur l’Histoire, sur la révolution, sur la relation à Dieu, ces thèmes portés largement par l’Âge d’Argent ».
Nathalie de Kaniv emprunte à l’ouvrage de Tzvetan Todorov le titre de sa conclusion : Le Triomphe de l’artiste (cf. analyse in Défense n°188 page 84). La puissance politique des gouvernants du moment peut certes écraser l’artiste mais sa puissance à lui est ailleurs : « ils n’ont aucune prise sur les valeurs esthétiques, éthiques, spirituelles, provenant des œuvres produites par ces artistes » et qui pourtant influenceront les sociétés. Si « la force s’accomplit dans la faiblesse», comme écrivait Paul aux Corinthiens il y a presque deux mille ans, alors on comprend mieux l’héritage de ces créateurs dont l’art a souvent confiné au spirituel. C’est un vrai don pour une époque.
Jean-François Morel